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Le Dieu de Jaurès

Le Dieu de Jaurès

Jòrdi BLANC    

« Je ne suis pas de ceux que le mot Dieu effraie. J’ai, il y a vingt ans, écrit sur la nature et Dieu et sur leurs rapports, et sur le sens religieux du monde et de la vie, un livre dont je ne désavoue pas une ligne… », proclamait Jean Jaurès à la tribune de la Chambre en janvier 1910.

Sélection

Pensées

Date de publication

2021-12-13

Édition

Vent Terral

Genre

Documents, Essais

ISBN

9782859271275

Langue

Français

Localité

France, Albigeois / Tarn, Carmausin / Ségala

Pages

344

Reliure

Rabats, Souple / Dos carré collé

Thème

Histoire, Philosophie

24,00

Quatrième de couverture

Alors qu’il n’a jamais cessé de se réclamer de sa thèse de doctorat soutenue en 1892, De la Réalité du monde sensible, personne n’a jamais voulu s’y confronter. Ni son jury ni les « spécialistes », universitaires ou militants, souvent les mêmes, qui ont préféré se fabriquer un Jaurès à leur mesure.
Et pourtant, il ne manque à son Dieu rien des attributs de la « philosofia perennis » et de la « religion éternelle » dont il ne cesse de se réclamer. Éternel et dans la durée, à la fois immanent et transcendant, nous voyons dans sa lumière et nous l’entendons dans le silence des nuits. Ou, pour dire comme l’apôtre Paul dont il se réclame : « Nous vivons en Dieu, nous nous mouvons en Dieu et nous sommes en Dieu. »
« Moi des moi », c’est un Dieu de liberté qui associe l’homme à son « pèlerinage de la perfection », un Dieu de compassion : « Dans ma pauvre tête fatiguée, il y a Dieu. »
Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jaurès ? Trop judéo-chrétien et trop difficile à intégrer dans l’histoire de la philosophie française contemporaine, autant que dans celle, marxiste ou franc-maçonne, du socialisme. Alors que, loin d’être l’abandon de ses idées métaphysiques et morales, l’action et la politique de Jaurès en constituent l’accomplissement.

AUTEUR :
Jòrdi Blanc, auteur d’une thèse de doctorat sur Jaurès philosophe (1996), et éditeur des Œuvres philosophiques de Jaurès aux éditions Vent Terral, (t. I Cours de Philosophie, t. II De la Réalité du monde sensible, t. III Écrits et discours théologico-politiques), donne ici une synthèse de ses recherches.

 

AVERTISSEMENT DE L’AUTEUR :
« Jaurès est au Panthéon », disait le poète, exprimant le fait que plus jamais il ne serait aux côtés des siens dans leur lutte pour la dignité, l’égalité, et la liberté.
Objet d’incessantes récupérations partisanes de l’extrême gauche à l’extrême droite, on ne s’est intéressé qu’à sa politique. En oubliant qu’il était philosophe de formation et de métier et auteur d’une thèse de philosophie soutenue en 1892 à la Sorbonne, De la Réalité du monde sensible.
S’engageant en politique sous les couleurs socialistes, il aurait abandonné ses illusions « idéalistes ». Pas facile, pour en faire un disciple d’Hegel et de Marx, ou encore un laïcard, de se frotter à son contenu et à sa lettre ! Elle révèle une métaphysique théologique et une morale en réaction à la démission et au dilettantisme des beaux esprits du siècle.
Rien donc de plus urgent que de revenir à son grand œuvre pour en saisir la singularité. Et pour comprendre comment, loin d’être un abandon de ses pensées de jeunesse, son engagement politique en est l’accomplissement.

 

EXTRAIT :
« Ce que nous espérons de ce retour sur la pensée métaphysique, morale et religieuse de Jaurès, c’est qu’il fasse naître une interrogation, et déclenche des recherches sur le refus de l’entendre dont il a été victime – et dont d’autres ont pareillement été victimes quant à leur dimension théologique. Et sur ce que ces refus disent de notre époque. Mais le veut-on ?
Qui a fait Jaurès ? Jules Guesde ? Lucien Herr ? Ou, de manière plus conforme au dogme, les mineurs de Carmaux ? Autant de questions aberrantes auxquelles l’historiographie « jaurésienne », faisant de lui un produit, n’a cessé de s’employer à répondre.
Jaurès s’est fait-lui-même. Non pas seul, mais grâce à la « philosophia perennis » et à la « religion éternelle » dont il se réclamait, et au milieu de ses « camarades éternels ».
Ne pourrait-on le faire bénéficier de la vertu des vertus qu’était pour lui la bienveillance ? Et lui reconnaître une pleine autonomie et une pleine liberté de pensée, comme il le réclamait à l’égard de tous ? »

Jòrdi BLANC, pp. 333-334

 

 

SUR JEAN JAURÈS :

« J’oserai dire que personne, pas même les plus fervents admirateurs de Jaurès, n’en soupçonne l’infinie richesse. Je crois être, parmi les vivants, un de ceux qui la connaissent le moins mal, et chaque fois que le hasard m’y fait opérer un sondage, chaque fois que mon attention se reporte sur une page de livre, un fragment de discours, un article, je reste stupéfait et confondu de ma découverte. Il regorge de trésors inconnus. On peut ouvrir au hasard, comme les protestants ouvrent leur livre, et chaque fois, infailliblement, on trouvera la réponse décisive soit à une inquiétude de l’esprit, soit à un problème posé par les circonstances les plus actuelles. […]

Les mêmes notions fondamentales qui permettaient l’explication de sa doctrine rendaient également compte de sa conduite, de ses positions pragmatiques dans toutes les grandes crises et vis-à-vis de tous les grands problèmes qui se sont posés devant lui. »

« Quand on était entré dans sa familiarité, ce qui frappait le plus c’était la pureté de sa nature. Il y a un mot dont j’aurais bien envie de me servir… Après tout, je ne vois pas pourquoi j’hésiterais à le faire ! C’était, en quelque manière sa sainteté ; je veux dire par là l’absence, et l’absence complète, totale de mobiles personnels… une pureté d’âme, une limpidité de cœur qui était, par moments, presque enfantine. »

Léon Blum, préface à Jean Feuillard,
Jaurès homme d’aujourd’hui, 1948
et conférence publique, Paris, 16 février 1933.

 

Brive, ce 2 juin 1923.

« Départ pour Carmaux où me pousse ma curiosité de tous les paysages. Mot singulier ici. Mais je ne vais chercher là que des paysages humains. J’ai la curiosité de ce peuple ému, de ces ouvriers qui ont tant aimé Jaurès, au milieu desquels je l’ai vu, une seule fois. J’ai gardé de lui seulement le souvenir des yeux : des yeux d’un bleu enfantin et qui avaient l’air de regarder plus loin et plus haut. J’ai retenu aussi le visage des mineurs qui l’escortaient. Ils l’escortaient vraiment. C’est tout. Je vais le revoir, en pierre. Vais-je retrouver le peu de ce que je sais de lui ? Et que me diront les autres venus pour le fêter ? C’est la première vraie fête depuis la tragique aventure d’août 1914. Quels seront ces autres ?
Que m’apprendront-ils ? Apprendrai-je à le connaître par leurs mots ? C’est un leurre : chacun se l’appropriera et le traduira sans le traduire sans doute. C’est une inévitable trahison. Peut-être le retrouverai-je sur le visage des hommes farouches ; car le travail sous la terre et au feu donne à ce peuple de mineurs et de verriers une expression étrange, quelque chose de rebelle et de triste que je n’ai pas vu sur d’autres visages. Voilà ce que je vais chercher, le reflet d’une âme qui eut un si grand empire sur d’autres âmes. »

Louisa Paulin, Journal.
Voyage à Carmaux
pour l’inauguration de la statue de Jean Jaurès.